الأربعاء، 17 أكتوبر 2012

La chute de Ben Ali a donc soulevé le couvercle sur une société qui doit se découvrir telle qu’elle est

Thierry Bresillon, journaliste indépendant, correspondant de Rue89 en Tunisie: (extraits de l'interview ElKasbah):

La fin du régime de Ben Ali est une sortie du mensonge. On découvre une société beaucoup plus conservatrice que l’image de propagande que le RCD utilisait pour s’auto-légitimer et qui offrait un certain confort à une partie des Tunisiens pour éviter de s’avouer ce qu’ils savaient au 
fond...

La chute de Ben Ali a donc soulevé le couvercle sur une société qui doit se découvrir telle qu’elle est : pauvre, conservatrice, enclavée (en dehors des catégories connectées avec l’Europe) par des décennies de médiocrité culturelle, travaillée par des courants religieux dogmatiques, irriguée par des réseaux mafieux, divisée, délitée par une défiance mutuelle. Tout à l’opposé de la carte postale d’une société ouverte, unie, moderne.

La vraie révolution serait d’accepter de prendre en charge cette réalité au lieu de penser dissoudre ces aspects négatifs dans la ré-islamisation de la société ou de refermer le couvercle en espérant renouer avec « l’âge d’or » bourguibien et retrouver « la vraie » Tunisie. Ce sont les deux voies proposées actuellement aux Tunisiens. Les deux me semblent illusoires.

Accepter d’assumer le principe de réalité est une étape indispensable vers la maturité. Je précise qu’un excès d’auto-flagellation serait tout aussi improductif, parce qu’il autorise à se déresponsabiliser.

Certains de mes amis évitent aujourd’hui l’expression de « printemps arabe » tant le présent leur semble sordide. Pour ma part, je persiste à penser qu’il s’agit bien d’un printemps, mais avant de fleurir, le printemps, c’est d’abord le dégel, c’est la boue, c’est la résurgence des déchets accumulés pendant des décennies de glaciation. Ce processus douloureux me semble infiniment préférable à la pérennisation du mensonge et peut seul libérer les énergies positives...

Je crois donc qu’il faut penser la politique en Tunisie dans le temps long et pas traquer de manière obsessionnelle le moindre faux pas de tel ou tel. C’est stérile et destructeur. En ce sens Facebook fait un mal considérable au débat politique en servant de caisse de résonance aux angoisses, aux rumeurs, aux manipulations… le temps de la délibération démocratique est plus lent, plus construit. Une des solutions pour assainir la vie politique serait, pour tous les Tunisiens, d’avoir un usage moins compulsif de Facebook.

La question n’est pas de trouver un homme providentiel (ce qui relève encore d’une mentalité archaïque), ni de savoir si un parti est plus porteur d’espoir qu’un autre. La solution ne viendra pas d’un parti, mais d’une classe politique dans son ensemble, de tous horizons politiques.
De gens qui ont du sang froid, une vision à long terme, une connaissance intime de la société, un sens de l’Etat. J’ai rencontré des gens de ce type dans les tous les partis. Ce sont eux qui pourront élever le niveau de la vie politique, élargir le champ de vision qui détermine qui les décisions politiques au-delà des avantages à court terme. Pour la santé démocratique de la Tunisie il est souhaitable qu’il y ait des gens de cette trempe dans tout l’éventail politique.

Entre la peur du présent et la peur de l’avenir, indiscutablement, je préfère la peur de l’avenir, parce qu’elle me laisse la possibilité d’agir.
L’ordre d’avant le 14 janvier était une illusion, rassurante certes, mais une forme de mensonge, parce que sous le couvercle, tous les ingrédients de la crise qui a conduit à la chute du régime et à la crise actuelle se mettaient en place. Comme je suis d’un tempérament à voir plus loin que le bout de mon nez, ces failles ne m’auraient pas échappé, mais la peur du présent était paralysante, ou du moins obligeait à choisir entre trois choix impossibles : se soumettre et monnayer son soutien, jouer sur les marges ambiguës d’une apparence de conformisme et d’une critique à demi-mots, ou de la résistance clandestine en prenant des risques considérables.

Aujourd’hui, la société revient à son principe de réalité, ce qui, chacun le sait, est une étape vers la maturité. Quoi qu’en disent les alarmistes, la situation actuelle est loin d’être une dictature et offre d’infinies possibilités pour agir sur le cours de l’Histoire.